De ce film que je suis finalement allée voir tardivement, je suis ressortie bouleversée. Et le terme est faible. Bouleversée en tant que spectatrice de l’absurdité humaine, bouleversée en tant que musulmane, affligée par le dévoiement dont l’Islam est victime, et avec elle, ses plus fidèles croyants. Rien de nouveau pourtant, le thème du terrorisme et du djihadisme a fait couler beaucoup d’encre depuis la décennie noire algérienne, un thème que j’ai lu et relu. Pourtant, ce qu’offre à voir Abderrahmane Sissoko, c’est un paysage, des visages, des émotions et des histoires dont aucun texte ne saurait retranscrire la beauté et la force. Beauté oui, car le beau, domine malgré l’horreur dont il est ici question. Les voiles noires, le désert, les bâtisses en terres, la valse des dialectes sont sublimes. Les faits racontés sont en plus, inspiré de faits réels déroulés à Tombouktou, prise d’assaut par les djihadistes du groupe Ansar Din en 2012.Alors que le jihad et l’islam monopolisent le débat public, Timbuktu dépeint avec beaucoup de réalisme des djihadistes lambda, perdu, des hommes dans tout ce qu’il y a de plus ordinaire.
La femme blessée
Que ce soit la fille mariée de force et violée, la mère, à qui on vole la fille ou la jeune fille surpris au téléphone avec un garçon, les femmes de Timbuktu sont victimes. Victimes des hommes, victimes de leur perversité. Ces tartuffes jouent les offensés devant une bouche ou une mèche de cheveux mais n’hésitent pas à aller séduire des femmes mariées, en l’absence de leurs maris, bien sûr. Sissoko ne tombe jamais dans la victimisation et le misérabilisme. Je craignais un film qui flirte avec l’éternel tryptique femmes musulmanes – soumission – barbarie, mais rien de tel ne ressort. La femme de Timbuktu est certes blessée, brutalisée, mais, elle ne cède jamais devant la terreur malgré la peur, à l’image de cette poissonnière qui, refusant de porter des gants, défient les djihadistes de lui couper les mains. Ou encore, la chanteuse, sous les coups de fouets, les cris mêlés aux larmes, ne s’arrêtera pas de chanter, la tête haute, toujours.
L’enfance volée
Aujourd’hui, il existe sur terre des hommes qui prétextant une religion refusent qu’un enfant s’amuse avec un ballon ou qu’il s’amuse tout court. S’en prendre ainsi aux enfants, c’est éteindre la joie et l’insouciance de leurs cœurs, ruiner l’espoir de ces générations futures, pour à terme tuer Timbuktu à petit feu.
L’enfance, voilà le thème qui m’a le plus touché, avec un scène en particulier, où un groupes d’enfants et adolescents improvisent un foot sans ballon. Ils miment des passements de balles, des petits ponts et des buts. En invoquant la loi de Dieu, ils produisent des orphelins sans remords aucun, tuent des pères et des mères sans chercher à comprendre, à contextualiser un crime. Ils oublient que le pardon et la miséricorde sont des bases de l’islam. Dieu le tout Miséricordieux, le très Miséricordieux, c’est pourtant la sourate d’ouverture du Coran.
Des djihadistes absurdes
Qui sont-ils d’ailleurs ? Algériens, Libyens, Marocains, Mauritaniens certainement, en tout cas, ils ne sont pas originaires de Timbuktu. Ils entrent dans la mosquée en chaussures, armés. Ils se taisent devant les remontrances de l’imam, à défaut d’avoir quelque chose de pertinent à lui répondre. Jamais le réalisateur les montrera prosternés, le front au sol. Non, ils jouent à la police de jour comme de nuit, traquent bêtes, femmes, enfants, sans relâche. Leur statut de djihadiste leur confère un pouvoir sur absolument tout. Ainsi, pour justifier le kidnapping d’une jeune fille mariée de force, ils rappelleront ; « Nous faisons le djohad, nous avons le droit d’agir en tant que représentants légaux »,
Bien sur, la religion est interprétée, à leur façon, un remix qui dosent sourates et hadiths grossièrement tournés en leur faveur. Devant l’imam, ils insisteront sur la légalité de leur kidnapping en se référant à un hadith du prophète (SWS) : « Et si quelqu’un se présente à vous et qu’il vous plait par sa foi, mariez –le »
Prétendant lutter contre l’occidentalisation, ils tapotent sur des iphones, parlent anglais, fument en cachette et discutent sous le soleil du dernier classico ou de Zidane. Tout est dit sur le paradoxe de ces djihadistes 2.0 qui publient des photos de leurs massacres sur twitter, qui récitent des discours appris par cœur devant une caméra, s’y reprennent plusieurs fois, comme s’ils cherchaient en vain un sens à leurs actions.
L’hypocrisie et la maladresse sont reines chez des hommes perdus, qui à trop fantasmer leur rapport à Dieu sans s’être attaché à travailler sur eux, étudier, s’interroger, n’ont finalement jamais compris le sens des paroles de ce même Dieu. L’imam le leur rappellera, le jihad contre l’autre est vain s’il n’est pas précédé du jihad contre soi-même, un combat contre les passions et les pulsions permettant de gagner in fine la sagesse, cette même sagesse nécessaire à l’application des lois du Coran.
Sourds aux remontrances de l’imam, ils se cachent derrière la religion pour justifier leurs élans barbares, invoquent Dieu pour se déresponsabiliser de la misère et du mal qu’ils infligent. La scène où le juge auto-proclamé face aux lamentations du touareg Kidane, triste de ne plus jamais pouvoir revoir sa fille, ne le regardera, jamais. Les yeux,rivés sur sa feuille, il lâchera à son traducteur : « Je suis triste pour sa fille mais ne lui traduis pas. » Tirer, lapider devient un exutoire à leurs frustrations. Et cet homme recalé par la femme mariée, qui, dans un élan de colère, tire dans le vide.
Avec toute l’horreur dont ils font preuve, les djihadistes ne tuent pas l’espoir. Les habitants de Timbuktu ne cèdent pas à la peur, les enfants continuent de jouer à leur façon, les chanteurs trouvent moyen de chanter derrière des anasheed.Aux islamistes aux cœurs rongés par la haine, la frustration et l’ignorance, à ceux qui les soutiennent, appelant à la Hijra des musulmans, à la guerre contre les mécréants, rappelez vous ces versets du Saint Coran :
« La bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Dieu, au Jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, de donner de son bien, quelque amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs, d’accomplir la Salat et d’acquitter la Zakat. » (Sourate Al Baqara, V.177)